Les incendies ont mis à nu nos paysages et voilà qu’ils nous racontent notre histoire et l’ampleur insoupçonnée de la déprise agricole. Elle ne se limite pas aux friches viticoles de ces quarante dernières années qui étaient bien identifiables avant le passage des flammes. Dans les espaces sauvages redevenus visibles, les incendies dévoilent le labeur des anciens qui ont façonné nos montagnes de terrasses bâties en pierres sèches. Elles avaient une double fonction : retenir les sols et limiter le ruissellement pour qu’ils s’hydratent en profondeur. Ces techniques héritées d’une époque enfouie dans nos garrigues sont aujourd’hui remises au goût du jour par l’hydrologie régénérative, souvent présentée comme l’une des composantes innovantes de l’agroécologie.
Un cycle d’autodégradation s’installe

Les sols mis à nu par les incendies sont particulièrement sensibles à l’érosion. Les conséquences des pluies intenses des prochains épisodes méditerranéens pourraient se révéler dramatiques : inondations (car l’eau va moins s’infiltrer) et glissements de terrains (car le sol ne sera plus retenu). L’érosion intense des sols entamerait leur capital nourricier déjà très impacté par les incendies. Un processus mortifère pourrait alors s’enclencher : le feu, qui appelle l’érosion, qui entraîne une aridification, qui appelle le feu suivant. La perspective unique de ce sinistre scénario est la désertification.
Pour la reprise des friches et la reconquête des terrasses
Pour casser ce cycle, le Tiers-lieu paysan Beauregard engage des actions de régénération en y associant les premiers concernés par les incendies : les habitantes et les habitants des Corbières. Nous les appelons à rejoindre nos chantiers de semis d’automne pour répondre dans l’urgence à la dégradation des sols brûlés en les couvrant de plantes annuelles.
- Cible : nous privilégions les friches viticoles (c’est notre programme Reprise de Friches) mais nous prévoyons aussi d’ensemencer des parcelles d’anciennes terrasses (c’est notre programme Reconquête des Terrasses). Ces dernières sont autant de parcelles aménagées pour cultiver des végétaux dans des conditions optimales, ce qui profitera aux couverts que nous implantons.
- Intérêt immédiat : nous couvrons les sols avec des variétés annuelles qui, en germant cet automne, vont retenir les sols mis à nu par les feux en cas de fortes pluies.
- Intérêt à moyen terme : nous créons des îlots de biodiversité qui recoloniseront l’ensemble de la zone sinistrée par les feux.
- Intérêt à long terme : nous sommes actifs dans l’indispensable reconquête des sols abandonnés par l’agriculture industrielle intensive pour diversifier nos productions, installer des paysannes et paysans et faire entrer notre territoire dans l’ère de l’agriculture vivrière.
- Intérêt à très long terme : nous espérons par les pratiques de l’agroécologie casser le cycle mortifère de la désertification (feu->érosion->aridité->feu).

Nos réalisations engagent des paysannes et paysans des Corbières qui depuis longtemps réalisent des semis d’automne dans leurs vignes, leurs oliveraies, leurs champs ou planches de maraîchages. Notre objectif n’est pas de faire démonstration des intérêts techniques des couverts végétaux qui sont largement documentés scientifiquement. Nous avons mis en place un module de cartographie qui nous permet de suivre les chantiers participatifs de reconstruction sur lesquels nous avons engagés plus de 200 bénévoles aux mois d’août et de septembre. Ce même module sera utilisé pour assurer le suivi parcellaire des semis d’automne. Ces données alimenteront les recherches des scientifiques déjà impliqués dans notre action pour identifier les mélanges de semences les plus efficients pour la reprise des friches et la reconquête des terrasses.
Les actions de régénération que nous portons ne se limitent pas à l’action d’urgence qui consiste à réaliser des semis d’automne. D’autres réalisations trouveront leurs accomplissements dans un temps long (par exemple la structuration d’une filière d’élevage extensif pour sortir de la monoculture de la vigne) et d’autres encore s’inscrivent dans un temps intermédiaire (par exemple l’utilisation du bois partiellement calciné pour restructurer les sols ou autoconstruire des abris).
Sortir du sinistre par le beau
La fulgurante destruction des 5 grands feux de l’été nous laisse avec un paysage noirci pour des années.
Nous, habitantes et habitants du territoire sinistré par les flammes, entrons en action pour reverdir les Corbières et pour les fleurir partout où il nous sera donné de le faire. C’est “par nous-mêmes” que nous allons sortir du sinistre par le beau. Nous appelons les paysannes et paysans et plus largement encore les habitantes et les habitants des Corbières à rejoindre nos chantiers de semis d’automne.
Plus largement, nous sollicitons tous les acteurs du département : organismes agricoles, associations dont les associations de chasses et autres associations d’usagères et usagers des espaces naturels, élues et élus des communes, du département, de la région, parties prenantes du territoire,… La chaîne de solidarité animée par le Tiers-lieu paysan Beauregard s’est immédiatement portée vers les personnes sinistrées. Elle s’adresse maintenant au territoire tout entier par les actions de régénération que nous engagerons ensemble.